Plus exposés à la pollution de l’air, les jeunes enfants des ménages modestes, plus fragiles, sont les plus affectés

Études et résultats

N° 1292

Paru le 04/01/2024

Milena Suarez Castillo (DREES), avec la collaboration de Vianney Costemalle (DREES), David Benatia (CREST) et Christine le Thi (Insee)
La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) publie une étude sur les inégalités de santé chez les jeunes enfants en lien avec la pollution de l’air. Au-delà des différences d’exposition, qui sont en défaveur à la fois des jeunes enfants des ménages les plus aisés et des ménages les plus modestes, il existe de fortes disparités de vulnérabilité vis-à-vis de la pollution de l’air. 10 % des enfants concentrent l’essentiel des effets observables lors d’une augmentation de l’exposition à la pollution de l’air avant leur premier anniversaire, via le recours aux soins en lien avec certaines pathologies respiratoires. Plus souvent dans un moins bon état de santé à la naissance, ils ne sont pas répartis de façon égale sur l’échelle de niveaux de vie des parents : parmi ces enfants les plus affectés, le dixième le plus modeste est 1,6 fois plus représenté que le dixième le plus aisé.


L’exposition à la pollution de l’air est plus élevée chez les enfants les plus aisés et les plus modestes

En France métropolitaine, ce sont les jeunes enfants vivant dans les ménages les plus aisés et dans les ménages les plus modestes qui sont les plus exposés à la pollution de l’air due aux particules fines de moins de 2,5 micromètres. D’une part, la pollution atmosphérique se concentre dans les villes, où les plus aisés résident plus souvent. D’autre part, les moins aisés vivent plus souvent, au sein des aires d’attraction des villes, dans les communes les plus polluées : au sein de ces espaces, ce sont les enfants des ménages les plus modestes qui sont les plus exposés du fait de leur localisation (graphique).

Les enfants modestes, plus fragiles à la naissance et plus souvent hospitalisés en urgence pour asthme et bronchiolite

Alors que les enfants nés prématurément représentent 9,1 % des naissances parmi les 10 % les plus modestes de la cohorte étudiée, ils représentent 6,1 % des enfants parmi les 10 % les plus aisés. Ainsi, les enfants les plus modestes ont un risque 1,5 fois plus élevé de naître prématurément que les plus aisés. En outre, parmi les enfants nés à terme, les plus modestes nécessitent en moyenne plus de soins lors de leur séjour de naissance. Avant leur troisième anniversaire, 1,4% des enfants sont admis à l’hôpital en urgence pour asthme sur la période étudiée (2008-2017). Cela représente environ 11 000 enfants nés chaque année qui sont touchés avant leur trois ans. En ce qui concerne les enfants les plus modestes, ils sont 1,9 %  à être admis à l’hôpital en urgence pour asthme avant leur troisième anniversaire, contre 1,2 % des plus aisés, soit un risque multiplié par 1,6. Concernant les hospitalisations en urgence pour bronchiolite avant le deuxième anniversaire, qui concernent 3,6 % des enfants soit de l’ordre de 28 000 enfants nés chaque année, les différences sont encore plus marquées, avec un risque doublé pour les plus modestes par rapport aux plus aisés (graphique). En revanche, les délivrances de médicaments contre l’asthme en pharmacie de ville, qui concernent un peu plus d’un quart des enfants, sont bien moins fréquentes chez les plus modestes que pour les dixièmes de niveaux de vie intermédiaires à élevés. En l’absence de mesure directe de l’état de santé respiratoire, la consommation des médicaments contre l’asthme peut être interprétée à la fois comme le marqueur d’une pathologie respiratoire, aiguë ou chronique, mais également comme un indicateur de la qualité de sa prise en charge, puisqu’il existe des différences d’accès, de recours et d’observance des traitements.

Des recours aux soins respiratoires plus fréquents chez les enfants surexposés à la pollution dans leur première année de vie

La simple comparaison d’enfants plus exposés à la pollution de l’air que les autres de par leur lieu de vie sur des données observationnelles ne permet d’établir qu’une coïncidence entre cette exposition en moyenne sur l’année et le fait d’être traité pour soins respiratoires. Afin de pouvoir donner une interprétation causale aux estimations de l’effet d’une surexposition à la pollution atmosphérique, deux groupes de jeunes enfants sont ici comparés, un groupe « surexposé » et l’autre « sous-exposé » (l’appartenance à chaque groupe n’étant pas déterminé de façon univoque par le lieu de vie). L’assignation des enfants au groupe « fortement exposé » repose sur leur exposition dans leur première année de vie à un nombre plus important de jours avec une inversion thermique qu’habituellement dans leur commune de résidence, phénomène météorologique ayant pour conséquence l’accumulation des polluants atmosphériques, notamment, mais pas seulement, les PM2,5 et donc par une sur-exposition à la pollution de l’air de ces enfants « fortement exposés » (voir précaution méthodologique).

Sur la période 2008-2017, environ 28 000 enfants de chaque génération sont hospitalisés pour bronchiolite avant leurs deux ans et 11 000 pour asthme avant leurs trois ans. Si l’on pouvait diminuer l’exposition moyenne annuelle aux principaux polluants atmosphérique d’environ 1 % sur la première année de vie, ce qui revient à préserver les enfants de moins de un an d’une quinzaine de jours d’augmentation ponctuelle importante de leur exposition à ces polluants, alors de l’ordre de 2 000 cas hospitalisés de bronchiolites, 1 800 cas hospitalisés d’asthmes et 6 100 prises en charge d’enfants avec des délivrances de médicaments anti-asthmatiques seraient évités.

Les enfants les plus affectés par un surcroît de pollution de l’air font plus souvent partie des plus modestes

La vulnérabilité à la pollution de l’air est vraisemblablement variable d’un enfant à l’autre, ce qu’occultent ces comparaisons globales. Concernant les hospitalisations en urgence pour bronchiolite et la délivrance de médicaments contre l’asthme, les effets importants, détectables statistiquement, seraient concentrés dans un groupe représentant 10 % des enfants, le groupe des enfants les plus affectés par la pollution de l’air. Que ce soit en termes d’hospitalisations en urgence pour bronchiolite ou de délivrance de médicaments anti-asthmatiques, les enfants les 10 % les plus affectés présentent plus souvent un état de santé défavorable à la naissance et font également plus souvent partie des plus modestes. Pour ce qui est des hospitalisations pour bronchiolite, ces disparités sont particulièrement marquées : les enfants les plus affectés par un surcroît de pollution de l’air dans leur première année sont avant tout des enfants dont l’état de santé à la naissance est moins favorable: 18,7 % sont nés prématurément, contre 5,9 % parmi les 50 % les moins affectés. Ces enfants appartiennent aussi 1,9 fois plus souvent au dixième de niveau de vie le plus modeste, qui représente 17,4 % des enfants les plus affectés.

Précautions méthodologiques

Les estimations interprétées de façon causale sont issues d’une méthode quasi-expérimentale (méthode par variable instrumentale en forme réduite).  L’approche quasi expérimentale est une des approches statistiques qui a émergé pour dépasser certaines limites des études observationnelles établissant des associations. Elle a conforté dans ce cadre d’analyse les études observationnelles établissant un lien entre état de santé dégradé et exposition à la pollution atmosphérique. Cette étude repose sur la quasi-expérience suivante : certains enfants connaissent, dans leur première année de vie, une exposition plus importante à la pollution de l’air que des enfants comparables nés dans la même commune, du fait d’un nombre d’inversions thermiques plus important. Une inversion thermique est une inversion du gradient de température avec l’altitude (ie la température est temporairement plus élevée en altitude qu’au niveau du sol) favorisant l’accumulation de la pollution de l’air au sol. Ce phénomène n’est pas spécifique aux particules fines de moins de 2,5 micromètres et impacte également la concentration d’autres polluants de l’air par le même mécanisme. Ainsi, les effets estimés ici s’interprètent plutôt comme une réponse à un surcroît de pollution de l’air induite par une inversion thermique (PM2,5, mais aussi d’autres polluants comme les oxydes d’azote ou le monoxyde de carbone) que la réponse à un surcroît d’un seul polluant (Godzinski, Suarez Castillo, 2021). Alors que l’exposition à la pollution de l’air est très liée aux caractéristiques des enfants (leur lieu de vie en particulier, qui se trouve très corrélé à d’autres variables socio-économiques), l’exposition à un surcroît d’inversion thermique permet de séparer des groupes d’enfants plus homogènes globalement au vu de leurs caractéristiques moyenne, mais dont l’un est plus exposé à la pollution atmosphérique que l’autre. Les ordres de grandeurs de recours aux soins évités par une moindre exposition à la pollution résultent des estimations tirées de cette méthode quasi-expérimentale ; ils ne doivent pas faire oublier les incertitudes statistiques (i.e. taille des intervalles de confiance) ainsi que les limites spécifiques à la stratégie empirique adoptée ici (variable instrumentale non spécifique à un polluant donné, et instrumentant - par construction - des chocs de pollution atmosphérique de court plutôt que de long terme).